L’offre

Les yeux rivés au plafond, Chaltan ne parvenait pas à trouver le sommeil. Toute la nuit, il l’avait fui. Le soleil levant perçait désormais au travers des volets, teintant de rose la pièce. Trop belle pour être vraie, l’offre du roi tournait en boucle dans son esprit épuisé. Se pouvait-il vraiment que Fillis Lam Élor consentît à envoyer des hommes récolter ce qu’ils pourraient dénicher dans l’épave et qu’ils ramènent à Feltune leur prise ?

– Si l’or nous est utile pour les échanges commerciaux, avait-il précisé, d’autant plus avec ce qui s’annonce, je ne compte pas piller votre navire. En tant que survivants, ce qu’il renferme vous appartient.

Demandant à conserver les vivres et les toiles, potentiellement les armes aussi, le roi avait proposé à Chaltan de partager la fortune prochainement amassée entre Vélor et lui, et de les aider à regagner leur cité. Les larviens disposaient d’un petit port à l’ouest où une embarcation et un équipage les mèneraient chez eux. Pour davantage de discrétion, les deux marins n’emporteraient qu’une bourse, le reste arriverait au compte-goutte. Malgré le malaise que lui procurait l’idée de récupérer l’or du navire, sur le dos de ses camarades morts, Chaltan ne cessait d’imaginer les changements qu’il apporterait dans sa vie : des finances sûres, une nouvelle demeure dans un quartier plus propre, une promesse d’avenir pour ses enfants. À condition que le roi respecte sa parole. Le chat bleu ignorait combien de pièces renfermaient en réalité les coffres du capitaine, mais s’il pouvait assouvir l’un de ses rêves, sans doute la maison, cela lui suffirait amplement.

À condition qu’il puisse en profiter.

– Ayant fait partie de l’équipage, le père de Viguette ici présente risque de faire surveiller vos familles. C’est une éventualité, avait ajouté le roi en tentant vainement de calmer le marin, il peut aussi bien vous considérer comme tous morts, selon toute vraisemblance, et s’abstenir de poster des gardes devant chaque porte.

– Sauf que nous avons tué quelques-uns de ses soldats pour sauver le goéland, avait souligné Parse.

À cela, le roi des larviens avait proposé aux deux rescapés de rapatrier leurs proches et de leur offrir une place au sein de leur communauté.

Voilà où Chaltan en était : à se demander s’il devait rentrer et espérer pouvoir profiter de son or honteusement gagné ou exiler sa famille dans une ville larvienne nichée au milieu de la forêt. Cela alors qu’une guerre risquait d’éclater. Si aucune des deux cités n’en sortait indemne, Feltune semblait courir à sa perte, avec ses petites maisons de bois et son rempart de ronces. Si pour lui la balance penchait dans un sens, la réponse à ce dilemme ne lui appartenait pas complètement. Sa femme aussi avait son mot à dire, et la connaissant, elle voudrait avoir le plus d’informations à disposition.

Sur cette pensée, Chaltan se força à se lever. Un sentiment de paix régnait dans cette bicoque. Le mobilier fait de bois et de branchages tressés, ses murs de torchis crème, son plancher couleur miel et ses petites fenêtres rondes. Et s’il était possible de vivre en ce lieu ? D’après le roi, les larviens respectaient un système de troc et d’entraide, peut-être Chaltan y trouverait-il sa place. Le chat bleu se gratta la tête, un peu d’air lui ferait le plus grand bien. Ce serait aussi l’occasion de découvrir Feltune et ses merveilles promises.