Plus grand qu’un ours et plus large qu’un rhinocéros, le roi Fillis Lam Élor les accueillit en ouvrant largement les bras. Aucun garde ne le suivait et nulle arme ne pendait à sa hanche. Il s’avança vers Chaltan et les autres sans aucune crainte. Son fils lui donna une longue accolade avant de se détacher de ses bras puissants et d’annoncer la belle martre au pelage brun roux. Un sourire sincère étirant ses joues, le roi étreignit la princesse comme sa propre fille. Décontenancée par ce geste, Viguette s’éloigna d’un pas, les lèvres crispées dans une mimique qu’elle espérait bienveillante. Le prince poursuivit les présentations avec Parse le maître d’armes, Vélor, qu’il désigna comme un magicien compétent et prometteur, et enfin Chaltan, mécanicien en chef du navire. La poigne du roi Fillis ressemblait à celle d’un marin : puissante et sûre. Le chat bleu s’enorgueillit d’y résister sans mal.
– Soyez les bienvenus à Feltune, notre cité mère, annonça le larvien d’une voix profonde.
Chaltan peinait à le regarder dans les yeux. Globuleuses, aussi sombres que du charbon et brillant comme un soleil, ces deux billes de jais donnaient l’impression de sonder l’âme. La peau verte, et finalement pleine de nuances, de ce peuple unique en son genre rendait l’exercice d’autant plus dérangeant. En réalité, ce sentiment venait sans doute davantage de leur apparence presque humaine, car Chaltan ne l’avait jamais éprouvé face à une grenouille.
– Un messager m’a fait part de votre arrivée, mais je n’ai guère plus d’éléments. Accepteriez-vous de m’accompagner au palais en attendant que vos appartements soient prêts à vous accueillir ? Les lits le sont déjà si vous préférez dormir auparavant. Je le comprendrais, j’ai eu vent de votre accident.
Chaltan s’étrangla en entendant cet euphémisme. Il eut l’intelligence de ne pas relever. Le coup de coude qu’il reçut de Vélor le convainquit cependant de remercier le roi pour sa bienveillance. Intérieurement, le chat bleu reconnut qu’un bon sommeil lui ferait le plus grand bien. En revanche, sa curiosité et son besoin de connaître la suite des événements l’empêcheraient d’en profiter pleinement. Si cela ne tenait qu’à lui, tout le monde emboîterait le pas de Fillis Lam Élor dans l’instant. Certaines promesses restaient en suspens, au même titre que sa famille. La princesse abonda dans son sens.
– Nous apprécions votre sollicitude, Votre Majesté, cependant, si je puis me permettre, l’heure est grave pour l’un d’entre nous. Ma fuite, bien que mûrement réfléchie, ne s’est guère déroulée comme prévu. Il s’avère que Chaltan, ici présent, redoute pour la vie des siens et cherche un moyen de les mettre en sécurité, j’espérais…
– Attendez, s’indigna le marin, ce n’est pas ce que nous avions convenu. Il n’est pas question, poursuivit-il malgré les tentatives de Vélor de l’arrêter, de les évacuer pour cette ville alors que vous comptez justement y amener la guerre. Je veux leur assurer un avenir financier ! Cela tout en profitant de les voir grandir !
– Maître mécanicien, ma Fille, intervint le roi…
– Père, nous ne sommes pas mariés…
– Bagatelle, mon Fils, la princesse Viguette s’est montrée courageuse et téméraire, et je suppose qu’elle n’aurait pas pris de tels risques pour des sentiments frivoles. Bien que les célébrations n’aient guère eu lieu, je la considère déjà comme un membre de la famille. Maintenant si vous voulez bien me suivre, je pense en effet que nous devrions poursuivre cette conversation dans mon palais, insista-t-il en désignant du regard les larviens intrigués, souvent inquiets. Certains sujets demandent du calme.
Chaltan accepta de retarder encore ses exigences, pour la dernière fois, et accompagna le roi vers sa demeure.