Les oreilles plaquées sur le crâne, Chaltan émergea de l’eau, n’offrant à l’air que ses yeux et sa truffe. Ainsi put-il voir les soldats investir d’autorité le navire des larviens. Le capitaine se montra moins docile que ne l’aurait cru le marin, bien qu’il finisse, à contrecœur, par laisser passer les intrus. Le félin au pelage turquin en profita pour s’éloigner jusqu’à une large caisse posée juste au bord du quai, qui l’aida à masquer ses retrouvailles avec la terre ferme.
Une courte observation des lieux lui signala la présence d’autres patrouilles. Face à lui, une venelle lui permettrait de s’enfoncer discrètement entre les murs de Prattel. La foule habituelle fourmillait, composée de débardeurs chargés de remplir ou vider les entrepôts, de commerçants désireux de lancer les premières offres, de curieux venus admirer les voiles et les marchandises du monde entier, de tire-laines défiant la surveillance récemment accrue, de quelques badauds et enfin des troupes régulières et gardes du corps. Chaltan étudia un instant les hommes en armes, leur position, leur direction, leur vitesse d’approche, sans parvenir à tout mémoriser. Il y avait trop de mouvements autour de lui, trop de possibilités. Il suffirait qu’un soldat se retourne au mauvais moment ou qu’un groupe de dockers décide de soulever la caisse qui constituait sa cachette pour se faire repérer. Le marin le savait, rester sur place s’avérait aussi dangereux que de demander son chemin à une patrouille. Alors, quand une charrette passa à côté de lui, il s’élança tête baissée droit devant, une main fermement serrée sur sa bourse.
L’obscurité de la venelle l’avait avalé depuis longtemps lorsque le chat s’autorisa enfin une pause. Il s’efforça de calmer sa respiration tout en observant de part et d’autre, croisant les doigts pour qu’aucune alerte ne fût donnée. Une fois sûr que nul ne le suivait, il se secoua vivement pour chasser l’eau de son pelage. Une véritable pluie s’abattit alors sur les murs alentours. Comme Chaltan détestait cette sensation. Si le marin du ciel avait appris à nager, c’était uniquement pour augmenter ses chances de survie en cas de chute. Même si un naufrage aérien impliquait bien souvent une dégringolade mortelle depuis les nuages, le chat bleu se serait senti bête d’y réchapper pour, au bout du compte, couler au fond de l’océan comme une pierre.
Ce sentiment le gagna pourtant lorsque des silhouettes, sortant de plusieurs portes, se rassemblèrent pour lui barrer la route. Inutile de demander si ces coupe-gorges le laisseraient gentiment traverser, leurs lames dénudées et leurs sourires carnassiers parlaient pour eux. Retourner vers le port ne relevait pas non plus du meilleur des plans. Chaltan se retrouvait coincé entre le marteau et l’enclume, fait comme un rat.
– Quelques pièces me garantiraient-elles un passage ? s’enquit-il malgré tout.
Seuls quelques rires lui répondirent. Chaltan sourit à son tour, espérant se donner un semblant d’assurance.
– Je m’en doutais, conclut-il en fouillant dans une poche de sa ceinture, mais j’ai quand même une proposition à vous faire.
Alors qu’il extirpait un petit cristal, les truands commencèrent à s’approcher. Peu importe le marché qu’il aurait à présenter, ces hommes pourraient en obtenir autant sur son cadavre. Mais seul Chaltan pouvait comprendre le véritable prix de ce trésor. Avec un pincement au cœur et la prière que son corps mouillé ne le trahisse pas, il tira son marteau Grunthor dont il ne se séparait plus depuis le départ de Feltune et griffa la pierre précieuse avant de la lancer le plus vite possible vers ses assaillants.
La seconde suivante, le cristal crépitait déjà et Chaltan se jeta en arrière. Le caillou heurta la tête de l’un des assassins qui le regarda, incrédule, chuter vers les pavés. Au contact du sol, il se brisa en libérant une puissante décharge électrique qui foudroya tout sur son passage.
Les cris durèrent suffisamment longtemps pour que le marin se couvre les oreilles. Lorsque le calme revint, il ne restait que des cadavres noircis et fumants. Pris de haut-le-cœur, Chaltan se redressa, un poing sur la bouche, et reprit sa route en courant de toutes ses forces.