La température devenait insoutenable, l’air, irrespirable. Le pelage du félin se gorgeait d’une transpiration épaissie par une couche de suie de plus en plus lourde. Ses mains, ses coudes, son dos, ses genoux, chaque parcelle de son corps qui entrait en contact avec les briques le brûlait davantage. Parvenu entre ciel et terre, la crainte de ne pas arriver au bout du tunnel se mua en panique.
L’effort produit l’avait éreinté, il ne se sentait pas de poursuivre dans cet enfer toujours plus chaud. Au-dessus de sa tête, l’air libre semblait à des kilomètres. Ses pensées allèrent vers sa femme qu’il pouvait presque toucher du doigt, à ses enfants qui dormaient derrière la paroi qui le torturait. Quelle idée de plonger dans une cheminée longuement nourrie. Sa bêtise finirait par le tuer. Pourquoi diable n’avait-il pas simplement frappé à la porte d’entrée ?
Au bord de l’épuisement, sa tête vacilla, ses mains se tétanisèrent tandis que ses genoux mordus par la chaleur cédaient. Dès les premières secondes de la chute, son front heurta la pierre, provoquant une douleur si vive qu’elle en effaça le reste. Chaltan prit conscience de tomber, que sa peau frottait continuellement la paroi, sans réellement y croire. La rencontre avec le tas de cendres et de braises, en revanche, le piqua avec la même ardeur qu’un couteau. Mû par ses réflexes de marin, il roula sur lui-même, par miracle dans la bonne direction, et se releva instantanément.
Le monde tournoyait au même rythme que son cerveau se balançait, chaque parcelle de son corps le faisait atrocement souffrir. Les poings fermés, les crocs serrés et les paupières closes, Chaltan n’attendait plus que la réalité revienne. Pensant forcer les choses, il ouvrit les yeux pour découvrir la plus belle chatte de la planète, visiblement très en colère, armée d’une large poêle qui s’abattit prestement sur son crâne. Le félin sombra dans l’inconscience avant de toucher le plancher.
De petits cris éperdus annoncèrent son réveil. Des voix toujours plus fortes. Plutôt aiguës. Des enfants. Ses enfants ! Transporté par la joie des retrouvailles, Chaltan voulut se redresser. Une douleur à la tempe le terrassa, ravivant les mille et une brûlures et égratignures dont souffrait son corps.
– Maman ! Maman ! s’égayèrent les fils du marin. Papa se réveille.
Des pas résonnèrent sur le plancher, quelqu’un souleva sa tête pour y glisser ses jambes.
Cette fois, lorsque Chaltan rouvrit les yeux, il retrouva le sourire enchanteur de Jaguelle, sa femme. Tout autour de lui s’agitaient Fulk et Wal, ses garçons.
– Me revoilà, dit-il avec un sourire difficile. Je sais bien que je rentre tard, mais j’imaginais un autre accueil, poursuivit-il d’un ton qu’il espérait léger. En plus, cette fois, je ne reviens pas de la taverne.
– Comment voulais-tu que je sache ? Je me doutais bien que c’était toi, mais tu es sorti de la cheminée tout noir, le regard menaçant. Et tes vêtements ! J’ai cru…
– Tout va bien, l’apaisa-t-il en s’efforçant de taire la douleur pour lui caresser la joue. Je suis tellement heureux de vous retrouver. Si tu savais. Il s’est passé tellement de choses. Jaguelle, reprit-il gravement, il faut qu’on parle. Et quitte à ce que les enfants soient réveillés, je pense qu’ils auront leur mot à dire.
Aidé de ses êtres chers, Chaltan se redressa pour se rendre dans le fauteuil le plus proche, où il s’affala lourdement. Goûtant au bonheur de cette réunion de famille, il chercha comment tourner ses révélations, conscient que son discours changerait leur vie à jamais.