Après un bain relaxant dont l’eau avait finie noircie de suie et de crasse, et un temps supplémentaire à profiter de la caresse du soleil, Chaltan puisa des vêtements propres dans l’armoire qui lui avait été désignée. La tunique courte à la couleur larvienne désormais bien connue, qui passait d’un vert amande à un bleu profond au gré des mouvements, le serrait un peu. Sa musculature saillait sous le tissu tendu, mais son pelage turquin en brillait d’autant plus. Il opta ensuite pour un pantalon clair, légèrement trop large, et un gilet marron. Sa femme aurait sûrement apprécié l’ensemble.
Cette pensée le poussa à presser sa sortie. Le silence qui l’accompagnait depuis la fin de son bain lui indiqua que Vélor avait sans doute eu la même idée que lui et profitait déjà des curiosités que Feltune avait à offrir. Sans s’offusquer de l’impatience de son ami, Chaltan franchit le seuil de la petite maison.
Placée au cœur de la forêt, elle était entourée d’immenses arbres dont quelques pieds s’élargissaient sous l’effet d’autres demeures semblables. Intrigués par la présence du chat bleu, quelques larviens cessaient leurs activités pour l’observer, avant de retrouver leur quotidien. Il n’émanait aucune animosité de leur part. Hormis, peut-être, une crainte relative à l’inconnu, ou à l’approche d’une guerre, songea Chaltan. Au même titre que les autochtones, le marin se désintéressa d’eux et emprunta le premier chemin venu.
Bien que majestueuse, d’une beauté presque mystique, cette forêt dégageait quelque chose de dérangeant. Les troncs filaient droit vers le ciel, les trilles des oiseaux s’élevaient dans l’air, accompagnées du chant apaisant d’un ruisseau. Les feuilles et les épines se teintaient de l’or du soleil. Ou était-ce les rayons de l’astre qui se paraient de vert ? À l’image du reste de cette cité sylvestre, le vent purifiait le corps aussi bien que l’âme. Chaque inspiration gonflait les poumons du marin d’un courant salutaire. Pourtant, Chaltan, loin de se considérer expert en la matière, trouvait cet environnement presque trop parfait. Il percevait comme une craquelure sur un chef-d’œuvre.
Tout autour de lui semblait trop vert, trop noble. Trop beau. Hormis sur le rempart qui ceignait Feltune, il ne repéra nulle trace de ronces, de liserons ou autres plantes envahissantes. La forêt paraissait lisse, maîtrisée, soignée. Loin de la vie grouillante, bruyante et agitée des ports. La mer aussi lui manquait. Terriblement. Autant que les nuages, l’horizon qui s’étirait à l’infini et le vent qui s’engouffrait dans ses poils. Malgré tout, un sentiment de paix régnait et il imaginait sans mal ses enfants grandir entre ces arbres centenaires.
Les troncs s’ouvrirent sur la plaine où le roi était venu à leur rencontre. Large étendue d’herbe rase gouvernée par le palais, elle accueillait un théâtre d’où s’échappait une mélodie gracieuse éveillée par un instrument à cordes. À l’est, une bâtisse imposante d’où sortaient des personnes en robes ou en tuniques longues marquait le centre d’un jardin coloré au dessin complexe. Les gens suivaient un chemin sinueux pour atteindre le parvis. Un lieu de culte, sans doute. Chaltan considérait ses lacunes sur ce peuple lorsqu’il aperçut Vélor au loin, s’enfonçant dans une autre partie de la forêt après avoir regardé autour de lui. Plus étrange encore, le marin aurait juré que quelqu’un l’invitait vers ce coin toujours inconnu de Feltune.
D’abord titillé par la curiosité, Chaltan se figea brusquement, indécis sur ce qu’il devait faire. D’un côté, l’envie d’en savoir plus le poussait à suivre son ami. Pour autant, si le goéland désirait se perdre dans la forêt sans le concerter, il avait sans doute ses raisons. Peut-être avait-il séduit une larvienne. En ce cas, sa présence serait plus que malvenue.