Même à plusieurs lieues de sa destination, Aljère savait qu’il trouverait l’homme qu’il recherchait, grâce au lien qu’il partageait avec Anktor, son dragon. Survolant la mer déchaînée, la créature d’écailles d’argent et de crin de feu avait ressenti la présence d’une congénère, dans les environs désignés par le bipède. À son tour, il était entré dans son esprit pour lui signaler sa découverte. Ainsi, ils se mouvaient à grand renfort de battements d’ailes vers une petite île perdue au milieu des eaux, où une situation délicate l’attendait.
L’accueil fut aussi peu chaleureux qu’imaginé. Dès que les visiteurs furent suffisamment proches, Voliette s’élança dans le ciel pour leur barrer la route. Le regard froid, les lèvres retroussées pour dévoiler des crocs acérés, elle les défiait ouvertement de bouger d’un mètre supplémentaire. Visiblement, l’inimitié qu’Allir éprouvait pour son confrère s’était étendue à sa dragonne. Aljère déplora ce climat.
Avec un calme relatif, il conjura Anktor de lui faire comprendre ses intentions réelles et profondes. Il ne venait pas ici pour jeter de l’huile sur le feu ni amorcer un quelconque conflit. Il avait besoin d’aide. Encore une fois, pas pour raviver de vieilles blessures ou remuer le couteau dans une plaie fictive, mais pour une affaire plus que délicate, qui engageait bien plus que deux archilleurs en froid. Allir devait répondre à sa requête.
Fort heureusement, et contre toute attente, nul autre que ce dernier ne mit fin à cette situation tendue. De là où il se trouvait, Aljère n’aurait rien pu faire si les deux dragons avaient décidé de se lancer dans un combat. Il l’aurait même subi. Aussi, lorsque l’archilleur vit sortir son confrère de l’une de ces boules difformes d’obsidienne qui ponctuaient l’île, une vague de soulagement l’envahit.
La tension redescendit d’un cran, sans toutefois disparaître, et Voliette laissa à Anktor le soin de se poser. Aljère n’attendit pas que son dragon s’immobilise pour ouvrir son habitacle :
« Allir, déclara-t-il, merci pour ton intervention, je craignais que tu me refuses l’hospitalité.
– Je m’en serai voulu de voir ton compagnon abîmé, plaisanta-t-il d’un air las.
– Bien, j’ai… pardon ?! s’étrangla-t-il avec retardement. Aucune chance que Voliette puisse… Tu sais quoi, céda Aljère en touchant terre, laisse tomber. Je ne suis pas venu pour me battre.
– Tiens ? Tu n’es pas là pour me narguer et flatter ton orgueil ? J’imagine aisément que c’est toi qui as trouvé le mage perdu, n’est-ce pas ? Tu veux boire quelque chose ? »
Cette simple phrase déboussola Aljère. Il était davantage habitué à subir les rejets de son associé d’un temps qu’à recevoir un quelconque accueil, qui plus est dans sa demeure. Même avec aussi peu d’aplomb. D’ailleurs, l’archilleur posait pour la première fois sa main sur le cadre de la porte d’Allir. Il avait entendu maintes histoires au sujet de cette tour d’obsidienne ratée et pourtant à l’origine des suivantes, sans jamais pouvoir l’observer de si près.
Ses yeux balayaient la voûte arrondie et inégale lorsque son hôte lui tendit un jus de fruit frais. Puis leurs regards se croisèrent.
« Qu’est-ce qu’il se passe ? » s’enquit Aljère, sincèrement inquiet.
Allir baissa la tête :
« Trois fois rien, conclut-il en l’invitant à entrer tout à fait, je n’ai pas su déchiffrer l’énigme, je n’ai donc pas trouvé le mage, et j’ai très récemment fait exploser Nanléar. En ce moment, j’ai l’impression que malgré tous mes efforts, rien ne marche. C’est fou ! »
Le choc fut violent. Les paupières largement ouvertes, la bouche subitement sèche, son corps recula de trois pas indépendamment de sa volonté. Ses pieds s’emmêlèrent. Il tomba lourdement en arrière, heureusement rattrapé par un épais fauteuil. Assis malgré lui, une idée germa instantanément dans sa tête, et avant qu’il puisse y réfléchir tout à fait, des mots s’échappèrent :
« La voilà peut-être la solution… »