Allir passa l’anneau à son index avec solennité, conscient de la gravité de son geste. Une fois le pouvoir de l’Instant éveillé, rien ni personne ne pourrait l’endiguer. Encore moins l’inverser. Lorsque la magie aurait opéré, la partie visée de l’esprit de l’archilleur aurait disparu, à tout jamais. Cependant, nul autre choix ne se présentait à lui. Pas après ses agissements et son manque de raisonnement.
Craignant de changer d’avis, il serra le poing et se hâta de passer à l’action. Les arbres environnants balayés du regard, il dénicha un espace suffisamment grand pour accueillir la scène qui apparaîtrait autour de lui et s’y rendit sans plus de cérémonie. Ensuite il se figea, droit comme un piquet, et se força à se détendre. Les yeux clos, Allir secoua les épaules un instant pour se mettre en condition, puis inspira profondément. Il bloqua sa cage thoracique quelques secondes, avant de relâcher l’air qu’elle contenait avec une lenteur maîtrisée.
Lorsque son corps fut prêt, le dragonnier plongea dans son esprit, à la recherche des souvenirs de la tour du Soleil Vert, et plus précisément de l’atelier du mage. Il balaya son arrivée, l’atterrissage de Voliette, les indications qu’il reçut pour se rendre au bon étage, et enfin sa rencontre avec Aljère, pour se focaliser sur la pièce où l’attendait Bambleck. La porte franchie, son front se plissa sous l’effort de concentration. Allir tentait de raviver tous les détails. Il apercevait clairement l’organisation des lieux, la localisation du bureau, les piles de papiers et les tableaux. Toutefois, la mémoire s’avérait être un monde difficilement accessible.
Voilà où l’anneau de l’oubli trouvait tout son intérêt.
Conscient de détenir toutes les informations utiles sans parvenir à les toucher, Allir conserva son image mentale et éveilla son énergie pour entrer en communion avec la magie de l’artefact.
« Gaä el mona », murmura-t-il.
Dès lors, le sentiment que sa tête bouillonnait lui arracha un cri de douleur. Allir sentit l’Instant s’insinuer dans son esprit, le scruter, pour y extraire avec violence ses souvenirs, et le moindre détail qui s’y dissimulait. S’y soustrayait petit à petit les piles de vélins, les autres archilleurs et les pillards présents, les cristaux verts et les torches fichées dans les murs. Les tables. Les bibliothèques. Les gardes. Le commanditaire. Bientôt, il ne resta plus qu’une pièce désertée. Puis les parois tombèrent, et le sol s’affaissa pour ne laisser qu’un vide infini. Enfin, Allir lui-même se sentit happé par le terrible pouvoir qui opérait.
Les ténèbres l’envahirent, et il sombra.
Lorsqu’il ouvrit les yeux, après plusieurs dizaines de minutes, plus rien ne demeurait de sa visite dans l’atelier. L’Instant s’était nourri de ses souvenirs. Voilà le prix à payer pour utiliser cette magie.
Allir se tenait désormais au cœur d’une projection de la pièce. Tout s’y trouvait, dans les moindres détails, même les éléments oubliés, enfouis et enfermés à double tour dans les méandres de sa mémoire. Ce que ses yeux avaient capté se présentait à lui. Il ne restait plus à Allir qu’à recommencer sa visite, et prendre le temps d’analyser. De nouvelles pistes s’offraient à lui, malgré le vide cuisant laissé par l’Instant.