Nourris par la puissance du Soleil Vert, des cristaux de même teinte auréolaient les murs sombres et brillants des couloirs, plongeant l’endroit dans une atmosphère mystique. Un silence d’outre-tombe régnait entre les parois d’obsidienne. Nulle torche, nulle flamme ne murmurait sa présence. Le tapis émeraude que foulait Allir absorbait l’écho de ses pas sur le sol vitreux et noir.
Un instant, l’archilleur songea à l’ancien maître des lieux. Seul, perdu dans cette immense construction, assurément guetté par la folie.
D’aucuns considéraient que les mages d’autrefois avaient bâti ces tours, emplies de multiples pièces parmi ces innombrables étages, pour s’isoler et différencier leurs diverses expériences arcaniques. Pour les plus cyniques, cet étalage de puissance ne servait qu’à prouver leur supériorité vis-à-vis de leurs concurrents. Allir estimait ces deux théories avec un égal intérêt, y ajoutant sa propre vision. Pour avoir assisté et observé les derniers pratiquants, il savait parfaitement que ces hommes et ces femmes ne maîtrisaient pas tout à fait leurs sorts. Ils lançaient bien souvent leur magie en attendant de constater le résultat. Ainsi avaient dû naître les tours, instable mélange de pouvoir, de désir et de vanité.
Toujours était-il qu’après bien des siècles, leur présence, plus ou moins vivace, perçait encore la terre à la recherche du ciel.
Bercé par ses pensées, Allir ne comprit que des voix s’élevaient dans la tour qu’arrivé à proximité d’une salle d’où émanait une lueur orangée. Dès lors, il sut que sa réponse à l’énigme était la bonne. Sans presser le pas, il poursuivit sa route, un sourire empli de fierté sournoise aux lèvres.
« Messieurs, déclara un homme encore caché des yeux de l’archilleur, je vous souhaite bonne chance. »
Lorsque ce dernier sortit de la pièce, les traits du dragonnier se crispèrent en une grimace de dégoût.
« Allir ! s’écria le malvenu. J’ai bien cru que tu n’arriverais jamais.
– Aljère, se renfrogna-t-il, quel déplaisir. Rassure-toi, je te laissais juste un peu d’avance, pour que tu puisses te pavaner avec l’espoir de voler à nouveau le travail d’un autre.
– Encore étouffé par cette histoire ? Tu devrais oublier cette affaire et passer à autre chose. Tu risques de franchir la ligne d’arrivée bon dernier avec un bagage pareil.
– Je t’ai fait confiance une fois, Aljère, sache que je ne renouvellerai pas cette erreur.
– Parce que tu crois que tes agissements sont plus louables que les miens ? Tu ne vaux pas mieux que nous. Toi aussi tu pilles les artefacts oubliés ! Les secrets des anciennes civilisations ? Ne me fais pas rire ! Tu ne cherches qu’à t’enrichir sous de faux airs de héros en manque d’histoires.
– Tu as révélé à tous le moyen d’approcher les cités volantes ! Évidemment que je ne suis pas le seul dragonnier, ni le seul à même d’atteindre les nuages, mais nul autre que moi ne savait comment détourner leurs portes. Par ta faute, combien ont pu m’imiter ?! s’emporta Allir. Combien ont arraché les trésors qu’elles recelaient sans se préoccuper des ressources et des souvenirs conservés ? Tu me dégoûtes Aljère. Tu as guidé des fous qui n’ont aucun respect pour notre art.
– Tu es juste effrayé par la concurrence, et conscient de ton infériorité. Maintenant que d’autres se mêlent à cette affaire, tu réalises ta faiblesse. Si tu pouvais au moins t’avouer la vraie raison de ta présence. Comme moi, tu sais que le mage que nous cherchons détient plus que de simples informations. Autrement, jamais homme si riche n’aurait engagé tant de limiers pour le dénicher. »
Les deux archilleurs se fixèrent de longues secondes avant qu’Aljère ne reprenne la parole :
« Sur ce, déclara-t-il en expirant de colère, je te laisse rattraper ton retard. Moi, j’ai rendez-vous avec un trésor. »
Les yeux vissés devant lui, Allir ne regarda pas son ancien allié disparaître dans les couloirs mal éclairés de la tour. Lorsque les bruits de pas se turent, il souffla sa rage, serra les poings et avança vers la salle où l’attendaient les premiers indices de sa quête.