La main rageusement fermée, la clef qu’elle serrait imprimait sa marque dans sa paume. Un filet de sang trouvait son origine dans les coupures tracées par ses ongles et s’écoulait le long de son bras. S’éveillant quelque peu, elle contempla avec un détachement froid son poing et ce liquide chaud d’un rouge sombre qui marquait toujours plus son territoire. Il refusait de s’ouvrir. Elle ne s’en inquiéta pas. De toute manière, son corps entier refusait de bouger. Son visage, masqué par un voile de colère impénétrable, maintenait sa mâchoire encore douloureuse aussi serrée qu’un étau. Nulle main, nul instrument n’aurait pu l’ouvrir en cet instant. Et Moelique restait figée, son regard de nouveau tourné vers ce qui n’aurait pas dû être vide. Le sang commençait à marteler le sol.
Rien, personne. La cage où aurait dû se trouver cette traîtresse était vide. La seule trace qui restait d’elle, ou plutôt de son mari, était une touffe de poils abandonnée sur le sol. Ces inconscients avaient sans doute passé la nuit là-dedans. Et si cet imbécile de Murios ne s’était pas tant éloigné du lieu de la bataille, il aurait pu les prendre tous les deux, sans défense. Mieux encore, s’il avait amené Éloare avec lui, au lieu de l’abandonner là, Alissart n’aurait pu s’empêcher de venir la sauver. Et de se faire tuer ! Quoique même cela aurait été une déception à ses yeux. La seule personne en charge du destin de ce chien n’était autre qu’elle ! La rage engendrée par cette nouvelle pensée poussa ses ongles à s’enfoncer toujours plus dans sa peau.
La douleur finit par s’éveiller, faisant naître des picotements cuisants au creux de sa main. Et comme si son corps et sa raison réagissaient de conserve, Moelique fit volte-face et lança la clef de toutes ses forces en hurlant. Son visage ainsi détruit, sa vie n’avait plus aucun sens si ce n’était la vengeance. Et, tout en sachant que la mort d’Alissart et d’Éloare ne lui ramènerait pas sa beauté, elle ne vivait plus que pour les voir s’éteindre. Son cri de haine se prolongea, partant s’étouffer entre les arbres de la forêt qui l’entourait. Ses jambes, tremblantes, finirent par céder, la laissant tomber à genoux. Ses mains plongèrent furieusement vers le sol, laissant ses doigts se refermer dans l’herbe. La terre vint s’infiltrer dans ses blessures et se mêler à son sang. Moelique se figea de nouveau.
Un bruit sourd suivit d’un sifflement parvint à ses oreilles. Elle leva alors les yeux, à la recherche de ce qui avait pu perturber sa malédiction silencieuse. L’empennage d’une flèche dépassait de son épaule. Comment était-elle arrivée là ? Et pourquoi n’avait-elle rien senti ? Ses doigts ensanglantés se dirigèrent vers le bois de la hampe.
« Si vous bougez, nous vous abattons, hurla une voix avant que trois chevaliers ne sortent du bois. »
Hors de la réalité de l’instant, Moelique abandonna l’idée de vérifier la véracité de la flèche. Elle était désormais encerclée. Sans qu’elle ne s’y attende, une voix sortit de sa gorge, sa voix. « Je veux parler à la reine, je sais où trouver les change-formes.
-Silence, animalheur ! Vous, dit-il en s’adressant à d’autres chevaliers, attachez-la. Vous, si elle bouge, aucune pitié. »