Après les cris, le sang et l’horreur, un calme relatif était revenu. Les cadavres jonchaient désormais le sentier qui serpentait dans la forêt. On pouvait encore entendre ici et là les râles d’agonie d’un soldat, puis le bruit écœurant de sa fin. D’autres hommes et femmes, fatigués, certains blessés, célébraient leur victoire. Éloare pouvait apercevoir ce triste spectacle depuis sa cage faite d’épaisses plaques percées de si petits trous que même une souris n’aurait pu s’en échapper.
Entourée de ses compagnons d’infortune, Éloare s’écrasa contre le fond de la cage lorsqu’une femme à la corpulence généreuse s’en approcha. Cette femme, elle l’avait déjà vue, c’était elle qui était entrée à son réveil dans le camp des change-formes. Son cauchemar allait-il s’achever un jour ? Pourquoi avait-il fallu qu’ils la retrouvent ? La femme fit jouer la clef dans le cadenas tandis qu’Éloare s’enfonçait toujours plus contre la paroi opposée de la cage, espérant presque se fondre dans le métal. Puis la femme ouvrit et déclara simplement : « Vous êtes libres. Venez avec nous, on va s’occuper de vous. » Trop heureux, les prisonniers change-formes sortirent en se bousculant. Certains en vinrent même à enlacer la femme pour la remercier. Éloare suivit le groupe en baissant la tête. Et lorsqu’enfin elle sentit l’air de la liberté souffler sur son visage, une main ferme agrippa son bras
« Toi, lui dit la femme. Je te connais, non ?
-Je…j’ai un visage très commun. »
La femme sourit avant de la projeter avec violence tout au fond de la cage. La tête d’Éloare percuta le métal. Elle succomba à cette décharge de souffrance et tomba à genoux sur le sol. Son dernier espoir venait de s’envoler. Lutter, survivre, avancer. Tout cela était vain. Elle était épuisée, affamée, seule.
« Murios, cria la femme, viens voir qui j’ai trouvé. »
L’ancien maître de chasse d’Alissart arriva de sa démarche souple. « Voilà qui est intéressant. Éloare, n’est-ce pas ? Votre mari parlait beaucoup de vous. Vous étiez une source de déception pour lui, saviez-vous ? Il faisait tout pour devenir fort et vous protéger et vous avez tout gâché. » Sa voix était froide, ses simples mots parvenaient à poignarder le cœur déjà meurtri d’Éloare. « Où est-il, ce cher Alissart, votre mari ?
-Je ne sais pas, parvint à articuler Éloare entre deux sanglots d’épuisement, de désespoir. Il m’a abandonnée ! »
Murios continua de l’observer pendant un instant avant de déclarer :
« Laissons-la ici, elle n’est plus qu’un fardeau. Et surtout, n’en parlons pas à Moelique. Si elle venait à apprendre que nous l’avons trouvée, plus personne ne pourrait la contenir. »
Les yeux rivés sur le sol, Éloare les écouta verrouiller la cage et laisser tomber la clef. Puis ils s’éloignèrent.