Les bras fermement serrés autour du corps brûlant et transpirant de sa femme, Alissart fixait avec terreur le semblant de porte qui les séparait d’une mort certaine. Le soleil couchant filtrait au-travers des failles du bois pourrissant. Ses rayons orangés étaient autrefois un émerveillement, un spectacle qu’Alissart et Éloare ne se lassaient d’admirer. Désormais, il n’était plus que le signe qu’un nouveau jour de fuite s’achevait et qu’un autre arrivait. Même le sentiment que ce coucher de soleil était probablement le dernier ne l’affectait plus. Il était épuisé, le cœur creux, et sa femme se mourait dans ses bras. Une flèche avait perforé l’une de ses ailes lors de sa dernière observation sous forme d’évilier. Sa peau s’était éclaircie, le jais s’était mué en un gris inquiétant, son corps était chaud tandis qu’il tremblait de froid.
Plus haut dans la rue, les bruits de pas des soldats de la reine qui couraient de droite et de gauche à leur recherche retentissaient, frappant le sol comme en écho aux battements de son cœur. Bientôt, ils parviendraient jusqu’à eux.
« Va, mon amour. Tu ne peux plus rien faire pour moi, souffla Éloare avec un sourire empreint de tendresse.
-Chut, fut la seule réponse qu’Alissart put donner. »
Il lui était hors de question d’abandonner là sa femme. Comment pourrait-il se soustraire ainsi à la seule raison qui l’avait poussé à survivre jusque-là, à sa raison de vivre ? Il serra plus encore ses bras autour de sa femme tandis qu’une porte était enfoncée non loin de la leur.
Il regarda autour de lui afin de chercher une meilleure cachette. La porte laissait entrer suffisamment de lumière pour lui permettre de distinguer les quatre murs de la pièce où ils se trouvaient. La petite bâtisse ne devait servir qu’à entreposer le surplus de blé pour l’hiver. Il y avait donc peu de possibilités de se soustraire à la vue des gardes. L’armoire serait le premier endroit qu’ils fouilleraient, escalader les poutres leur était impossible et espérer ne pas être aperçus en se mettant dans un coin était pure folie. La seule tentative qu’il leur restait, leur seul espoir, était de se recouvrir avec les quelques sacs de blé présents. Alissart n’y croyait pas un seul instant. Cependant, il préférait agir, même de façon grotesque, que d’attendre sans rien faire que les gardes ne les tuent. Jamais il ne baisserait les bras. Pour sa femme.
Il se redressa avec douceur, remonta ses mains jusqu’aux épaules d’Éloare et lui souffla avec tendresse dans l’oreille :
« Ma douce, il va falloir te lever.
-Pourquoi ? Je suis déjà au lit et il commence à être tard. Viens plutôt te coucher avec moi. »
Cette simple phrase ôta toute notion de survie à Alissart. Elle ne passerait pas la nuit, il le savait. Alors lui-même n’avait plus de raison de la passer. Sa mâchoire se crispa et sa respiration devint lente et profonde.
« Tu as raison, j’arrive. »
Avec autant de délicatesse qu’il le put, il se glissa hors de son dos et vint jeter un dernier coup d’œil par les fentes de la porte. Ils arrivaient, désireux de les tuer pour la simple raison que leur reine le leur avait ordonné. La folie humaine n’a donc pas de limite ? Il abandonna là les gardes et se tourna vers sa femme. Elle était assise, le regard vague, la peau grise d’avoir perdu trop de sang. Il s’approcha d’elle d’un pas épuisé. Pourtant, sa respiration s’intensifia, son regard devint dur tandis que ses yeux bleus s’éclaircissaient. Sa bouche et son nez commencèrent à s’allonger, des poils envahirent son visage, son cou puis son torse et enfin son corps tout entier. Sa peau se stria de rayures rousses, blanches et grises, et ses bras se mirent à raccourcir alors qu’il finissait de déboutonner son pantalon. Alissart tomba à quatre pattes juste avant d’achever sa transformation en aindo.
Sans un mot, il s’allongea sur le corps mourant de sa femme pour lui tenir compagnie.
« Venez, entendit-il derrière la porte, on va ouvrir celle-là. »