Avec quel plaisir il admirait ses soldats creuser un accès dans l’immense double porte. Le bois hurlant sous les coups, l’ouverture qui se créait à mesure que le temps s’écoulait, cet instant resterait à jamais gravé dans sa mémoire. Et derrière lui, en contrebas, la ville continuait de crier sous les lames des jamures. Les derniers résidus d’Argogue tombaient. Son ultime pilier attendait son heure, sans doute avec une dignité toute travaillée.
Sa garde personnelle finit par se frayer un chemin et, suivant les ordres, il se déployèrent à quelques pas seulement de l’entrée. À son tour, Gongénoire pénétra dans la salle du trône et eut tout le loisir d’affronter du regard son ennemi de toujours. Celui qui maintenait son peuple dans un conflit éternel depuis des décennies. Celui qui avait défait son père sans quitter son précieux château. Vieux et fatigué, le roi Renouille lui apparut pourtant majestueux dans son siège. Même d’aussi loin, une lueur d’intelligence se percevait dans ses yeux assombris par l’âge. Gongénoire comprit enfin pourquoi cet homme inspirait autant de respect chez ses opposants. Et cet étrange sentiment faillit lui coûter la vie.
Alors qu’il voulait faire un pas en avant, il découvrit l’ensemble de la scène. Renouille, assis dans son trône, seul, dans une immense pièce. Le long couloir aux nombreux piliers qui les séparait. Un sourire se dessina sur les lèvres du roi des jamures. Voilà un piège dans lequel il ne tomberait pas.
Il fit un pas de côté, libérant l’entrée, et déclara simplement : « Ramenez-moi ce vieillard, il est plus que temps pour lui de comprendre la situation. Mais faites attention aux angles morts, il doit avoir un plan. »
Précédés de sa garde personnelle, les hommes massés derrière les portes s’engouffrèrent dans la salle du trône et fondirent droit sur le roi. Et à une vingtaine de pas de lui, alors que la tension montait et que nul affrontement ne se profilait, une pluie de flèches venue des poutres s’abattit sur eux. Stupéfait, Gongénoire ne put qu’écarquiller les yeux face à cette ultime réponse. Et alors que ses soldats tombaient, il réalisa l’ampleur de son erreur. Il s’attendait à ce que les amorois sortent d’ouvertures dérobées ou de derrière les piliers, pas du plafond.
« Mais qu’est-ce que vous espérez, leur hurla-t-il ! Ne restez pas là. Et vous, poursuivit-il à l’attention de ceux encore dehors, trouvez-moi des archers ! »
Si près du but et pourtant si loin ! « Tu ne fais que retarder l’inévitable, Renouille ! Maudit sois-tu ! »