Les braves, les effrayés, les rêveurs ou les fous. Tous tombaient de la même façon devant une lame. La Mort ne se préoccupait pas des distinctions d’âge, d’aspiration ou d’origine. Et jamures ou amorois, Yarflel les considérait avec un pareil détachement. Seuls les vivants, ceux pouvant encore représenter une menace pour son intégrité, recevaient une attention particulière.
Ainsi, en plein cœur d’une mêlée, à plusieurs centaines de mètres de la porte perdue par le prince, il luttait. Le chant du métal, parfois perturbé par un cri de douleur, emplissait l’air par à-coups tonitruants. Ses oreilles bourdonnaient, assaillies de toutes parts. En face, sur la gauche, la droite, à nouveau en face. La démence imprégnait l’environnement et envahissait peu à peu son être. À chacune de ses inspirations, la mort et la pestilence s’engouffraient dans ses poumons. Pourtant, son bras s’abattit sur l’épaule d’un défenseur, sûr et puissant.
D’un mouvement sec, il tira son cimeterre pour le dégager et poursuivit ses attaques au milieu du brouhaha. La progression de sa troupe désorganisée ne laissait aucun doute, les jamures gagnaient toujours plus de terrain. Le château du roi Renouille finirait par tomber, probablement avant le lever du nouveau jour.
Bientôt, il pourrait donc prendre du recul pour mieux observer la situation. Il aurait exécuté les ordres de Gongénoire de Lancine durant suffisamment de temps pour lui faire croire en sa sincère implication. Assez de sang imprégnait son armure et sa lame pour appuyer ses dires futurs. D’ici peu… Une vive douleur naquit dans sa cuisse. Rapidement une seconde s’éveilla dans son ventre, si poignante qu’il se mua en vent. Contre son gré.
Le monde physique cessa instantanément d’exister, plus aucune logique ne gouvernait l’univers ni l’esprit de Yarflel. Tels une tornade, les courants le balayaient en tous sens avant de l’aspirer vers le sol pour mieux le projeter vers les cieux. Ses souvenirs s’effaçaient à mesure que les mots, les cris ou les murmures de chaque être vivant se mélangeaient dans son crâne. Ses propres pensées, incohérentes pour la plupart, le gagnaient en hurlements hachés.
Et tandis que le principe même de son corps physique s’étiolait, il parvint à s’y attacher, et à le consolider. Lentement. Petit à petit, il se rappela du concept de doigts, de mains, de jambes, jusqu’à les ressouder ensemble.
L’image de lui-même établie, le contrôle de son pouvoir lui revint, ainsi qu’un calme relatif. Sous sa forme d’air, il découvrit au loin la cité assaillie. Des lueurs orangées illuminaient le ciel nocturne, lui faisant réaliser la durée de son calvaire. Le soleil brillait haut alors qu’il luttait au milieu des jamures.
Peu désireux de perdre davantage de temps, il se laissa glisser jusqu’au dernier mur de défense du château et retrouva sa consistance. Ainsi, la fin du roi Renouille allait sonner. De là-haut, Yarflel pouvait voir les soldats s’acharner contre la porte ferrée de son antre.
Le llormien s’assit, et attendit la suite, conscient que du sang s’échappait de son corps.