« Je peux juger de vos progrès avec une certaine satisfaction, maître Rainette. Cependant, votre diction constitue une épreuve que je peine à résoudre. » Geandain leva un sourcil et pinça les lèvres en signe de défi. « Ne voudriez-vous pas cesser ces enfantillages ?
-Mon cher, ne suis-je pas l’expatrié ? Celui que tous accueilleront avec curiosité ? Pour le roi et sa cour, je me dois de jouer mes plus beaux atours.
-Voilà qui suffit ! »
Le semblant de sourire de Carmin s’effaça. Le plancher du bureau devint soudain si passionnant que le reste disparut. Il inspira profondément. La dernière visite du duc marquait encore son esprit et ternissait sa bonne humeur, assombrissant sa vie. Ainsi, elle ne lui appartenait plus. Il se cantonnait au rôle d’amuseur de foire pendant que des hommes fouillaient le sac de ses cibles pour il ignorait quelle raison. Bien sûr qu’il s’en était rendu compte. Pas la première fois ni la seconde. Pourtant, à force d’effrayer toujours les mêmes personnes, davantage de détails s’offraient à lui.
Le duc l’utilisait donc et tentait de le couper de tous les petits bonheurs. Certes, une course-poursuite n’arrangeait sans doute pas des plans mystérieux venus d’un esprit supérieur, mais au moins avait-il eu le sentiment de se retrouver. Le temps d’un instant, il était redevenu Carmin le farceur. Et si Guaal lui refusait ça, il ne lui restait plus que Rainette !
« Oh non, Geandain, c’est loin d’être fini ! Que vous le vouliez ou non, je suis Rainette et je parlerai comme je l’entends. Alors, soit vous l’acceptez et vous continuez votre enseignement, soit on arrête tout maintenant et je répondrais à l’invitation du roi comme ça. » Bien décidé, Carmin serra pourtant la mâchoire. Son épaule encore douloureuse lui rappela qu’il jouait probablement sa vie. Une inspiration pour se redonner courage, puis : « Et prévenez le duc si vous le voulez. »
Les secondes de silence s’étirèrent. Les hommes se jaugeaient, aucun d’eux n’acceptait de baisser les yeux.
« Vous avez probablement raison, se rendit le majordome. Le temps nous manque, vous devez vous préparer à tenir une conversation. Laissez-moi vous apprendre les derniers événements qui empliront la salle du trône. Un avis sur chacun d’entre eux vous sera demandé. Inutile qu’il soit semblable à vos futurs interlocuteurs. Le roi s’attache à la diversité et à l’honnêteté. Ne craignez pas de raisonner par vous-même. » Geandain leva les yeux, pensif, puis opina du chef : « La pluie et le beau temps seront bien entendu de mise. Pour cela, vous n’aurez pas besoin de mon assistance. Je me trompe ?
-Loin de mes préoccupations principales, la météo est pourtant le sujet idéal.
-Oui, certes, concéda-t-il. Vous mentionnerez sans doute la politique locale et extérieure, vos origines bien sûr, le peuple, les derniers banquets, et le roi lui-même. Sachez que l’on murmure ici et là que son âge le trahit en ce moment même. Le front de l’est s’effrite.
-Le front de l’est ? Avec les jamures ? J’en ai entendu parler à… » Carmin se coupa lui-même dans son élan, conscient que taire son ancienne vie à Argogue était pour le mieux. « Je croyais que notre armée les tenait en respect.
-Malheureusement, cela n’est plus vrai depuis peu.
-Dîtes m’en plus, s’il vous plaît. »