La peur. La peur faisait partie de ces fibres que Mazy avait appris à taire. Elle brouillait l’esprit lors des batailles, bridait le courage, asservissait les braves, jugulait celui qui l’accueillait. Qui se laissait attraper par ses griffes se fermait les portes du royaume d’Ourkess. Or le bois de sa torche se couvrait de sueur, de cette moiteur que seul l’effrayé peut produire. Parmi les ombres, à plusieurs mètres sous terre, Mazy doutait du sort qui s’offrait à elle.
Curieuse de l’idée du supposé Garguyme, la guerrière avait traversé vallées et forêts pour rallier, solitaire, le désert de roches au sud du pays. Le dieu lui avait révélé qu’au cœur de ce dédale se trouvait la première étape de sa vie future. « Il suffit de suivre l’odeur d’œuf pourri, et d’y résister », avait-il déclaré tout sourire.
La mort crachait sa fétidité au visage de Mazy, alors que la folie grattait aux portes de sa lucidité. Plusieurs fois, elle avait perçu le bruit de griffes frottées sur les parois rocheuses. Plusieurs fois, elle avait flairé l’effluve musquée des fauves. Le pas lourd de la bête frappa le sol. Juste derrière elle ! La guerrière fit volte-face, et tira sa lame. Cette fois plus de doute, quelque chose habitait les ombres.
Pour preuve, les rayures laissées par terre et sur les murs.
Préparée à combattre, Mazy gardait sa hache sur le côté, sa torche face à elle, et observait là où la créature s’était faite détecter. La bête râla derrière elle. La guerrière réagit aussitôt. Elle amorça sa frappe et pivota, prête à abattre tout adversaire. Quelle que fût sa hardiesse.
Le regard fixé vers l’obscurité, elle reculait à pas peu sûrs, la mâchoire serrée et le souffle court. La sueur poursuivait sa perversité. Désormais, le visage de Mazy se couvrait de ce liquide moite, chaud, presque corrosif. Il se faufilait jusqu’à ses yeux pour les brûler. Deux pas vers l’arrière. La prise sur sa hache perdait de sa vigueur. La créature racla les murs de la grotte. Trois pas. Mazy déglutit. Impossible de voir ce qui se cachait à la limite de la lueur de sa petite flamme.
Là, sa patte !
Elle s’esquiva, et éprouva la qualité de l’aiguisage acéré des crocs de la bête. Mordue au cou, Mazy vira de bord et frappa avec sa torche puis sa lame. Le fer ricocha ! Les yeux écarquillés par la surprise, la guerrière découvrit trois ours colossaux, des statues de cristal taillées à même le mur. La lumière du feu s’y réfléchissait sous la forme de milliers de lucioles irisées. Le liquide rouge dégouttait des crocs de celui du milieu.
La réalité resurgit.
Le cliquetis des griffes de la créature réveilla Mazy, qui frappa au hasard. Sa torche assaillit les ombres par le côté, alors que sa hache passait par-dessus sa tête. Touchée au vol ! Le fer mordit la gorge de la bête. Toujours vive, elle secoua les épaules pour se dégager puis se jeta gueule ouverte vers la femme. Semblable aux ours par sa taille, le loup tigré de rouge bouscula Mazy jusqu’à la plaquer dos à la paroi. Sous l’effet de la surprise, elle lâcha sa lame. Prise au dépourvu, la guerrière esquivait au mieux les crocs avides de chair, ses jambes lacérées par les griffes. Le souffle putride de la bête pour seul air, Mazy la repoussa de toutes ses ultimes forces, pour s’extirper et lui ficher sa torche droit à travers la bouche.
Surprise, blessée, la créature libéra sa proie, qui récupéra sa hache et frappa, frappa et frappa ! Avec la rage de vivre et la peur. Jusqu’à la mort. Et plus.
Mazy se défoula sur le cadavre, à la fois heureuse d’être victorieuse et effrayée. Sa lutte désespérée se répercuta parmi les ombres. Et l’obscurité répliqua :
« C’est pas vrai, ma Vlaha chérie ! »