Suite à Fuite vers le nord-ouest et La réserve de blé, voici la troisième partie de l’aventure d’Alissart et Éloare. Pour rappel, nous les avions laissés en très mauvaise posture. Acculés dans une réserve, nos deux héros ne pouvaient plus qu’attendre que les gardes de la reine les trouvent.
Une odeur épicée s’infiltra dans ses narines, éveillant son esprit. Étrange sensation que de ne plus dormir sans être tout à fait ouvert à la réalité. Éloare savait ne pas être dans son lit puisque son matelas n’était pas fait d’un tas de paille enveloppé dans un drap. Elle sentait parfaitement les tiges dures et sèches contre ses bras et ses jambes. Durant son sommeil agité, elle avait dû se rapprocher du mur de pierres mal équarries, froid. Cette maison n’était pas la sienne, ce lit ne lui appartenait pas. Cependant, elle se sentait légère, plongée dans un bien-être profond. Ses poumons s’emplirent de cet air chargé d’une odeur à la fois douce et piquante. Un sourire se dessina sur ses lèvres.
Une brise vint faire trembler la porte d’entrée, qu’elle devina non loin sur sa gauche. Une fois, puis une deuxième. À la troisième, un cauchemar d’un intense réalisme vint troubler sa quiétude. Elle se vit allongée à même le sol, vide de toute énergie, tremblante. L’obscurité de la petite pièce où Éloare se trouvait n’était rompue que par quelques rayons du soleil rougeoyant, qui filtraient par les fissures d’une vieille porte. Une ombre vint s’arrêter devant, bloquant ainsi toute lueur. La peur et la faiblesse s’abattirent alors sur Éloare. Elle regarda partout autour d’elle mais rien, les ténèbres léchaient les murs qui l’entouraient. Et tandis que ses bras cédaient sous ses tentatives pour se relever, le monstre gronda. Elle bloqua alors sa respiration pour ne pas se faire entendre, et deux autres monstres répondirent à l’appel du premier.
De lourds coups furent frappés sur le bois pourrissant de la porte. Un gémissement de détresse filtra de sa bouche, qu’elle voila avec sa main. Comble de l’horreur, elle s’aperçut que ses doigts n’avaient plus ni peau ni chair. Sa main n’était plus qu’un squelette. Et, comme en écho à son cri de désespoir, la porte toujours attaquée par les monstres commençait à céder. L’idée de se faire dévorer par des créatures, sans aucun doute affreuses, aux griffes acérées et aux crocs encore sanglants de leur dernier repas, ne fut cependant rien en comparaison de ce qu’elle vit en ôtant la couverture qui la recouvrait. Sa main n’était pas la seule atteinte, tout son corps n’était plus qu’un squelette gris et froid. Un aindo, un chien au museau long et fin et au pelage rayé de roux, de blanc et de gris, rongeait son tibia droit.
Son hurlement couvrit a peine l’affrontement qui eut lieu de l’autre côté de la porte. Les monstres, affamés, avaient commencé à s’entre-tuer. La folie avait fini par s’emparer de l’esprit d’Éloare. Désormais immobile et refusant toute réalité, elle ne put qu’écouter le combat des monstres, le sang, la peur et la mort. Et enfin, les râles d’agonie. Alors qu’elle se croyait enfin sauvée, la porte céda sous un dernier coup. Trois silhouettes se dessinèrent alors devant les derniers rayons de soleil. Un ourga se tenait droit au milieu du trio, un animal puissant aux crocs redoutables, qui mesurait un homme et demi. Sur sa gauche attendait un woualin. Proche de l’aindo, il était toutefois plus fin et bien plus vif. Cet animal usait de ses griffes rétractables pour déchirer le cou de ses proies. Le troisième était facilement reconnaissable. D’une corpulence imposante, sa peau était le plus solide des cuirs et son crâne aussi résistant que la roche. Tous trois la regardèrent avec des yeux flamboyants puis se jetèrent sur elle.
Son réveil fut violent. Tout son corps se cambra, et le temps d’une seconde, elle crut chuter dans un abysse. Puis elle ouvrit les yeux sur un plafond de paille. Son corps était trempé de sueur froide. Baissant les yeux pour essayer de comprendre où elle se trouvait, son regard tomba sur un aindo. Elle eut alors un mouvement de recul si violent que sa tête percuta un mur. L’animal vint se blottir contre elle et, lorsque leurs yeux se croisèrent, le souvenir de son mari lui revint, de même que leur fuite et enfin sa blessure. La suite n’était qu’un brouillard de souvenirs.
Quelqu’un toqua. En s’ouvrant, la porte laissa entrer deux hommes, l’un très grand à la musculature impressionnante et l’autre, son opposé, fin et digne, au regard calculateur inquiétant. Une femme les suivit de près. Elle était un peu ronde et semblait têtue.