L’apprenti hurkane (Axrel)

 

Oubliant cette fois la limite de caractères que je m’étais imposé, je me suis essayé à un tout autre exercice. Pour ce texte je voulais raconter une scène par les yeux d’un personnage, sachant que je me destinais à le faire pour au moins un autre. À savoir qu’au bout du compte, il y aura trois points de vue différents. Ce texte suit donc le regard d’Axrel, le jeune chevalier qui désire devenir hurkane.

Le jeune Axrel était nerveux. Comment pouvait-il ne pas l’être en ce jour capital ? Voilà une dizaine d’années qu’il en rêvait sans toutefois y être pleinement prêt. L’hurkane Elderon Alussit, son hurkane, l’avait accepté comme apprenti lorsqu’il avait à peine huit ans et aujourd’hui, après tout ce labeur, tous ces apprentissages, Axrel allait être reconnu hurkane à son tour.

Afin d’oublier la cour du roi, ses parents qui l’attendaient avec fierté, la haie d’honneur et le roi lui-même,il plongea dans une prière muette. Il remercia la Mère d’avoir veillé sur lui lors des dures campagnes de son hurkane, il remercia le Père de lui avoir donné la force et le courage de vaincre ses ennemis. Il pensa à son petit frère, qui fut apprenti, tout comme lui, et souhaita que l’Ancêtre ait accueilli son âme en son royaume de paix. Heureusement, il lui restait son grand frère qui devait l’attendre aux côtés de leurs parents. Il eut un sourire en pensant au mariage prochain de sa sœur.

Deux gardes vinrent mettre fin à ses pensées en se postant chacun d’un côté. Ils frappèrent le sol de leur hallebarde et se tinrent droit. La réalité vint alors l’assaillir, et son corps tressaillit. Certes, la joie menait son âme, mais l’importance de cette cérémonie était bien trop grande. Il inspira profondément, goûtant l’air qui entrait par ses narines et expulsa le tout violemment, chassant ainsi un peu de pression. L’effet bénéfique s’estompa bien vite.

Les trompettes sonnèrent de l’autre côté du rideau, rompant la paix relative qui imprégnait les lieux. Son cœur s’accéléra, frappant à tout rompre sa poitrine en rythme frénétique. Axrel eut bientôt l’impression que son corps allait exploser dans son armure dorée. Il inspira de nouveau et vérifia une fois encore chacune des pièces de métal qui le recouvrait. Ses gantelets, ses canons d’avant-bras, ses cubitières, son plastron…Le chant des trompettes s’éteignit aussi brusquement qu’il avait débuté.

« Faites entrer Axrel Esorenne, apprenti de l’hurkane Elderon Alussit. »

Le rideau s’ouvrit enfin, révélant la haie de gardes en armes dont les fers croisés menaient droit vers le roi. Il y avait bien plus de personnes qu’il ne s’y attendait, mais il n’y prêta guère plus attention tant il était concentré vers la fin du chemin, et celui qui l’y attendait. Les deux gardes frappèrent trois fois sur le sol avant de se placer devant lui. Axrel se redressa plus encore, montrant un port fier et, lorsque les gardes frappèrent de nouveau, il s’avança parfaitement synchronisé sur leurs pas. Le fer des lances s’ouvrit au fur et à mesure de sa progression. Un calme solennel imprégnait les lieux. Nulle trompette, aucun chuchotement, et ses pas étaient étouffés par l’épais tapis rouge qui le menait droit vers son roi.

Oubliant tout le reste, le regard d’Axrel était désormais fixé vers Sa Majesté. Sans le vouloir, il examina sa couronne d’or, de diamants et d’émeraudes. Un large rubis trônait en son centre. Il portait une épaisse cape rouge au col en poils blancs tachetés. Ils provenaient d’un animal lointain abattu lors des batailles d’expansion vers les pays de l’Est. Ces fauves féroces avaient été dressés par l’ennemi et le roi en avait pourfendu un d’un seul coup d’épée. Axrel admira son élégant plastron aux mille éclat de pierres précieuses. De même, d’épaisses bagues ceignaient ses doigts divins.

Enfin, la dernière paire de lances s’ouvrit devant lui. Les deux gardes qui le menaient frappèrent le sol et s’inclinèrent devant leur roi. Suivant son signe, ils se relevèrent et cédèrent la place à celui qui devait devenir hurkane. Il fit un pas en avant et à son tour s’inclina devant son roi. Les trompettes sonnèrent cinq fois et le chambellan cria à l’assemblée :

« Sa Majesté, le roi Portéan troisième du nom, reconnaît la formation de l’apprenti Axrel Esorenne et tient à le féliciter pour ses actes de bravoure lors des batailles contre son ennemi le roi Ménatis. De même, il reconnaît sa ténacité, son engagement envers la couronne, et encourage ses futurs services envers Sa Majesté. Axrel Esorenne, veuillez-vous agenouiller pour recevoir la bénédiction de votre roi, maître de votre vie et de votre destin. »

Axrel s’exécuta et se mit à genoux, la tête inclinée vers le sol.

« Jurez-vous de suivre les ordres que vous donnera Sa Majesté ? Jurez-vous de défendre les intérêts de votre royaume et de votre roi ? Jurez-vous de toujours suivre les lois des hurkanes, défendant ainsi la veuve et l’orphelin, accompagnant les hommes dans la bataille  ?

-Je le jure, dit-il solennellement.

-Êtes-vous prêt à donner votre vie si cela permet à celle de votre Souverain de se prolonger ?

-J’y suis résolu.

-Dans ce cas, veuillez-vous lever. »

Le son d’une lame que l’on dénude parvint à ses oreilles tandis qu’il se redressait. Il aurait dû avoir peur de ce qui allait suivre, mais maintenant que la cérémonie avait commencé, il ne craignait plus rien. Le stress l’avait abandonné dès les premiers pas et il ne comptait pas reculer maintenant qu’il allait enfin rentrer dans l’ordre. C’est donc les yeux grands ouverts qu’il sentit l’épée de son roi le transpercer. Elle passa au-travers de son plastron sans mal et perfora son cœur. La douleur qui s’en suivit fut cependant d’une intensité sans borne. Il sentit son corps tressaillir sans toutefois le laisser trembler, il sentit sa gorge se serrer sans toutefois laisser le flot de sang qui voulait en sortir s’échapper.

La vie commençait à s’enfuir, pohurkanet, Axrel refusait de l’abandonner. Il savait comment la cérémonie devait se passer et il n’y avait que deux façons de l’achever. Soit il mourrait, soit il survivait à cette dernière épreuve et obtenait le statut d’hurkane et les privilèges qui en découlaient. Si la rage de vivre était suffisamment forte en lui, alors il serait un homme nouveau d’ici peu. Et tandis que sa vue commençait à se troubler, il sentit une nouvelle force grandir en lui. Et en un instant, il sentit la lame de son roi s’ôter de son cœur et la vie couler de nouveau en lui.

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