Une conversation intéressante

Quelques pièces en main, il se laissa attirer par la musique et franchit l’entrée du  »Doux Lendemain ». Conformément à sa devanture, le respectable établissement promettait une propreté et un calme suffisants. Une dizaine de tables rondes en chêne huilé accueillaient les badauds au centre de la pièce. Tout autour, de petites alcôves où pendaient de courts rideaux verts offraient une intimité relative. Animant la soirée, un groupe de ménestrels et de danseuses présentaient leurs meilleurs morceaux. Repérant une place dans l’une de ces fameuses alcôves, Grunthor se faufila à travers la pièce et s’installa dos au mur.

Rapidement, une serveuse vint à lui et prit sa commande. Attendant son assiette et sa chope, il laissa traîner ses oreilles au détour des conversations. Ainsi, la vie commune à la capitale n’avait que peu d’intérêt. Les gens se plaignaient de l’hiver et du froid, comme en été ils critiqueraient la chaleur et parfois le manque d’eau. L’ennui le gagna vite, aussi Grunthor se perdit-il dans la musique. Les notes volaient dans l’air, entraînant les danseuses dans des rythmes parfois lents, où la grâce se mêlait à la sensualité, parfois endiablés, où la vivacité luttait contre la puissance. Leurs robes tout en couleurs et en légèreté l’hypnotisaient. Les nombreux volants qui les composaient devenaient autant d’arcs-en-ciel ondulants, plongeants et jaillissants. Un simple mot l’extirpa de ce spectacle hypnotique.

Derrière la paroi qui le séparait d’une autre alcôve, un homme venait de parler des animalheurs. Dès lors, l’esprit de Grunthor s’éveilla. Il réalisa que sur sa table, devant lui, l’attendait son assiette. Les danses l’avaient tant obnubilé que la serveuse était parvenue à lui porter sa commande sans qu’il ne s’en aperçoive. Inutile de s’appesantir sur cette erreur. Commençant son repas, il tourna son attention vers la conversation qui se poursuivait :

« Ça, pour sûr qu’elle est jolie, mais c’en est une. Et puis, on ne peut pas lui faire confiance. J’ai entendu dire qu’elle a dénoncé ses amis. Tout un groupe massacré ! Et pas une larme. C’est une sorcière, m’est avis. Mon frère est dans la garde, et il jure qu’elle avait une horrible face avant. Si pleine de cicatrices que seuls les crocs d’un loup pourraient en être la cause.

-Ce n’est pas une sorcière, c’est Droa’k qui l’a guérie. Il lui a purifié l’âme de son démon avant de lui rendre son visage. Maintenant, elle se croit juste plus importante qu’elle ne l’est. C’est ça qui t’énerve en réalité. Elle est plus maligne que toi, ce qui lui a permis d’entrer dans les bonnes grâces de la reine, alors que tu n’es qu’un boulanger. Quand tu feras du vrai pain, peut-être qu’on parlera de toi, se moqua-t-il.

-Arrête ça ! Il est très bon mon pain. Demande à ceux qui me l’achètent. En attendant, moi je ne couche pas pour réussir.

-Encore heureux, vu tes chances avec les femmes. » Il rit sincèrement avant de se reprendre. « Allons, ne fais pas cette tête, je plaisante. En attendant, ancienne animalheur ou pas, je ne suis pas mécontent que ce soit quelqu’un de chez nous qui conseille la reine. Ce type, le grand prêtre, il ne m’inspire guère.

-Tu n’as pas tort. Mais tout de même, as-tu entendu ce qu’elle veut faire aux autres comme elle ? Ce n’est pas digne de Droa’k !

-Je ne sais pas, moi le choix des dieux, je leur laisse. En attendant, les morts, ce n’est pas bon pour les affaires. Ce n’est peut-être pas une si mauvaise idée finalement.

-Bah, conclut-il. Et dis-moi, tes affaires. »

Le reste ne fut plus d’aucun intérêt pour Grunthor, qui ne put que s’inquiéter du sort prochain réservé aux change-formes. Que prévoyait cette prêtresse ? Il devait retourner à l’auberge et informer les autres de sa découverte. En espérant qu’eux aussi avaient appris quelque chose.

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