Le poids des responsabilités

Affûtant la seule lame qu’il avait pu cacher sur lui avant d’entrer en ville, Grunthor ne pouvait s’empêcher de penser qu’un malheur était arrivé. La harge et l’ark Dysolt prenaient trop de temps. Ils auraient déjà dû être rentrés. Parmi tous les possibles avenirs qui s’offraient aux deux nobles déchus, Grunthor n’en voyait que deux. Soit la garde les avait reconnus et arrêtés, soit leur cadavre se vidait de leur sang dans une ruelle. Tout étranger qu’il était, il aurait dû les accompagner. Certes, sa présence aurait alerté plus rapidement les soldats de la reine, mais aucun malheureux n’aurait eu leur peau dans un coin sombre. Les escorter hors des bas quartiers et attendre leur retour, voilà ce qu’il aurait dû faire. Aurait dû, aurait dû ! Inutile d’y penser maintenant. Grunthor posa sa dague sur le lit, ses avant-bras sur ses genoux et contempla le sol, les yeux vagues. Désireux de chasser ses mauvaises pensées, ses poumons inspirèrent autant d’air qu’ils le purent et se bloquèrent un instant, avant de relâcher toute la pression accumulée.

Que de responsabilités maintenant que des personnes comptaient sur lui. Jamais dans sa vie Grunthor n’avait si ardemment désiré la solitude. Seul, il parvenait facilement à survivre. Désormais, il tenait entre ses mains des vies, des destins, et ce jour marquait probablement la fin de deux d’entre eux. Le guerrier se redressa et posa ses mains derrière lui, sur la couverture rêche. Que le plafond présentait de l’intérêt en cet instant. Toute cette poussière. Ce lieu n’était pas fait pour des nobles comme les Dysolt. Il n’était d’ailleurs fait pour personne. Pourtant, il avait le mérite d’être là et de les cacher.

Grunthor sourit. Même ainsi, il parvenait à trouver du réconfort. Un bruit de cavalcade l’éveilla instantanément. Des gens montaient l’escalier vers les chambres. Plus rapidement qu’il ne l’aurait cru, il pressa le pas et ouvrit sa porte. Un homme et une femme, bras dessus bras dessous, sursautèrent en le voyant avant de s’éloigner en le regardant étrangement. Ce n’était pas les Dysolt. Cet espoir mort-né fit flancher ses épaules. Le dos voûté, Grunthor referma la porte et retourna s’asseoir sur son lit.

Machinalement, il reprit sa lame avant de recommencer à se morfondre. Lui-même ne se reconnaissait pas. Grunthor n’était pas le genre d’homme à flancher. Le poids de son choix le tiraillait. Qu’aurait-il dû faire d’autre ? Attendre que les soldats de la reine ne les retrouvent et mourir l’arme à la main, ses compagnons tombant les uns après les autres ? Aussi dangereux que puisse être son plan actuel, il valait mieux que de rester sur place. Qu’aurait-il dû faire d’autre ? Aurait dû, aurait dû, voilà qu’il recommençait.

Sa porte s’ouvrit avec fracas ! Les réflexes prenant le dessus, le guerrier se leva d’un bond et assura sa prise sur son arme.

« Grunthor, qu’est-ce que tu fais ? Ils sont rentrés ! » S’avisant de la situation, Alissart reprit, inquiet : « Tu as un souci ?

-Non, se calma le guerrier, non, tout va bien.

-Alors, viens, la harge et l’ark sont revenus. Ils leur restaient juste assez d’argent pour tout le monde. Avec ces nouveaux vêtements, nous allons pouvoir sortir d’ici et commencer nos recherches sans être pris pour des mendiants ! »

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