La sentence

Il sentit une larme rejoindre sa joue avant qu’une main ferme ne le tire en arrière, séparant ainsi leurs lèvres d’un dernier baiser. Ne prêtant aucune attention aux gardes qui les entouraient, Alissart plongea son regard dans celui de sa femme. Avec quelle force et quelle fierté elle assumait la situation. Alors que son propre cœur battait la chamade, Éloare le couvrait de sa tendresse. L’espace d’un instant, il se demanda s’ils avaient fait le bon choix. Et comme si elle lisait dans ses pensées, elle acquiesça. Il sourit et fut plongé dans le noir.

Son lien visuel soudainement coupé, Alissart fut pris par le désespoir. Qu’avait-il donc fait ? Il avait convaincu sa femme de le suivre dans les ténèbres. Ils auraient très bien pu subir le rituel et peut-être que le lendemain ils auraient vécu libres et ensemble. Au lieu de cela, ils allaient périr par excès de fierté. Les regrets l’abattaient aussi efficacement que le voile qui couvrait sa tête l’avait séparé d’Éloare. Le cœur lourd, il suivit les ordres du garde qui lui tenait l’épaule.

Après ce qui lui parut une éternité dans un dédale sans fin, une lourde porte fut ouverte, laissant apparaître une lumière au travers de la toile. Et comme si la lueur de ce nouveau jour l’imprégnait, il reprit courage et retrouva sa volonté. Ce monde à naître refusait les change-formes. Qu’il en soit ainsi. Jamais Alissart ne se soumettrait aux désirs d’un autre, encore moins d’un être qui avait déjà fait tuer tant des siens ! Jamais il n’accepterait que son âme soit souillée pour devenir l’un d’entre eux !

Machinalement, il se tourna vers sa femme. Leur choix n’avait pas été sans difficulté, mais ils l’avaient fait ensemble. Et ni l’un ni l’autre ne le regrettait. Leur union représentait tout.

Mettant fin à cet échange muet, le garde le rappela à l’ordre, lui indiquant sans douceur la direction à suivre. Alissart progressa sur un sol plat, fait de pierre, les environs difficilement descriptibles en raison de sa cagoule. Il sut toutefois lorsque des dalles, il passa à un escalier de bois. Ainsi, Moelique avait réussi à jouer en leur faveur.

Il se laissa guider jusqu’en haut où on le fit s’arrêter et se tenir droit. Il y eut des bruits de pas autour de lui avant qu’un garde ne lui ôte son voile. La trop forte clarté l’éblouit un instant sans qu’il ne puisse refréner une grimace. Lorsque ses yeux se furent habitués, il découvrit une grande place entourée de murailles. Seuls quelques soldats se tenaient devant eux, à quelques mètres seulement de l’estrade, attendant le spectacle ou que l’un d’entre eux se transforme pour l’abattre. Les oubliant, il regarda à sa gauche. Deux autres membres de son groupe avaient préféré une mort choisie, libre, à une vie sous une peau humaine. Il hocha la tête en signe d’adieu et se tourna vers sa femme. Elle le regardait avec ses yeux si pleins d’amour et de tendresse. La peur cependant se lisait au fond de ses prunelles. Comment ne pourrait-elle pas avoir peur face à la mort ? Lui aussi était terrorisé. Savoir qu’ils avaient fait le bon choix l’aidait cependant à l’affronter. Alissart serra la mâchoire et lui sourit tandis que les gardes lui passaient la corde au cou.

Cette mort, ils l’avaient choisie. Le feu balayant la chair, le corps ne pouvait pas rejoindre la terre, l’âme torturée ne pouvait gorger les arbres d’énergie et le dernier souffle fondu dans la fumée ne pouvait rejoindre le vent. Ainsi, la pendaison restait leur meilleur recours.

« Puisse notre mort porter les graines de la vie, souffla-t-il.

-Puisse notre mort porter les graines de la vie, reprirent-ils tous ensemble. »

Et, tandis qu’Alissart se tournait vers sa femme, la sentence fut exécutée. Le sol se déroba sous ses pieds et il chuta.

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