Chair meurtrie

Encore fiévreuse, Moelique ouvrit les yeux. Une faible lumière imprégnait les lieux, filtrée par les rideaux de la cabane. Quelques rayons s’échappaient par les trous du tissu grisâtre et traçaient dans l’air des fils dorés. De petites lucioles de poussière dansaient dans l’air. Dehors il devait faire un grand soleil. La change-forme aurait aimé se lever. Quelque chose en elle l’empêchait pourtant de le faire, comme si admirer l’astre du jour ne lui appartenait plus. De ses mains faibles, elle tira la couverture jusqu’à son menton et referma les yeux. Voilà bien longtemps qu’elle n’avait pas profité d’une journée de repos. La dernière fois, elle avait passé une belle nuit aux côtés d’Adéile. Aujourd’hui aussi, peut-être qu’il lui apporterait son petit-déjeuner. Une si belle perspective la fit sourire.

Étrange que ce simple geste la fasse autant souffrir. La peau de sa joue la tira affreusement, et cette douleur qui naquit depuis sa pommette jusqu’à son cou la fit grimacer. Curieuse aussi bien qu’inquiète, Moelique porta une main tremblante à son visage. Ses doigts se posèrent sur un tissu rigide et rêche. Ses yeux s’écarquillèrent. Guidée par une terreur tissée d’horreur, Moelique se redressa vivement, faisant taire toutes douleurs, et s’arracha à ses draps. Se redresser lui fut pénible. Cependant, dès que ses pieds rencontrèrent le sol de terre chaude, elle se leva.

Son visage ! Qu’avait son visage ? Moelique fondit sur la table. Elle était couverte de tissus propres ou ensanglantés, d’une vasque d’eau rougie et d’un couteau. La change-forme attrapa l’arme et la fit danser devant sa joue. La lame, trop fine pour lui montrer son visage, fut rapidement jetée. Même ainsi teintée, la vasque était son dernier espoir. Aussi se pencha-t-elle au-dessus. Flou ! Le reflet était flou. Les yeux plissés, Moelique tenta du mieux qu’elle put d’y voir quelque chose. Rien n’était clair. Seuls ces horribles tissus sur sa joue et son cou se voyaient. Rageusement, elle balaya la table de ses mains et fit tomber tout son contenu.

Un miroir ! Il lui fallait un miroir ! Faisant un tour de la pièce du regard, elle se dirigea vers une armoire. Là encore, son contenu ne l’intéressa pas et Moelique vida tout sur le sol. Laissant place à la fureur, toute la pièce fut rapidement retournée. Son cœur battait désormais si fort qu’elle sentait chacune de ses pulsations dans sa gorge. Là ! Ce coffre n’avait pas été la cible de sa colère. Moelique s’accroupit devant et l’ouvrit sans douceur. Les draps en furent chassés les uns après les autres jusqu’à ce qu’un éclat d’argent apparaisse. Enfin, enfin, Moelique trouva ce qu’elle cherchait. Une écaille de tortue brise-vague dont l’intérieur, une fois poli, servait de miroir.

Comme le calme après une tempête, Moelique resta figée devant l’écaille. Elle n’osait plus bouger et à peine respirer. Sa main finit tout de même par se lever et son visage apparut dans le disque courbe. Nul besoin d’en voir plus. Tout ce qui lui restait lui avait été arraché par un chien fou. Sa beauté, dernier vestige de sa vie, n’était plus. Elle, Moelique, autrefois si belle que même les femmes la désiraient, n’attirerait plus que les regards de pitié et de dégoût. N’y tenant plus, elle arracha les bandages qui couvraient son visage. Son désespoir se mua en un désir ardent de vengeance et de sang. Les empreintes de crocs laissées sur sa peau et qui déformaient son visage seraient les piliers de sa cruauté nouvelle. Oh, il allait souffrir, et de la pire des façons.

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