Le grand retour

Le cœur allégé par le travail bien fait, Carmin huma glorieusement l’air ambiant. Le soleil brillait haut dans le ciel qui offrait un plafond divin. Un sourire satisfait accompagnait ses yeux plissés par la malice. Enfin sonnait l’heure de son grand retour.

Dans quelques instants, se rendant sur la Grand-Place, le roi Renouille passerait avec sa garde personnelle à quelques pas seulement sous lui. Et en plus des acclamations de la foule déjà perceptibles, une cascade rafraîchissante s’immiscerait dans son environnement. Une pluie similaire ne pourrait qu’enchanter les petites créatures vertes. Carmin leva le doigt, comme pour se noter intérieurement cette pensée des plus agréables.

Une dernière vérification de son système d’arrosage s’imposait. Il fit volte-face et s’apprêtait à descendre de son perchoir lorsque des mains apparurent sur l’autre extrémité de son toit à créneaux. Un visage crispé par l’effort se montra rapidement au sommet. Et bientôt, un homme fin, vêtu d’un surcot sans manche et d’un pantalon souple lui fit face. Carmin répondit à son silence par une révérence théâtrale, son masque cachant son inquiétude. Ce visiteur inopportun n’augurait rien de bon.

« Au nom du roi Renouille, je vous ordonne de descendre de ce toit ! » Sa voix tonnante jura avec la beauté de l’azur.

« Votre inquiétude me va droit au cœur, mais je pense rester là encore un peu.

-Nous sommes autorisés à user de la force si nécessaire.

-Nous ? » Voilà qui n’arrangeait pas le tableau. Peu importait l’identité de cet homme, le roi possédait des soldats entraînés à le suivre lui, tout spécialement. Cet honneur aurait pu l’enchanter s’il ne le mettait pas ainsi en danger. « Dans ce cas, invitez-les. La vue d’ici est imprenable. » Malgré sa confiance apparente, Carmin déglutit en pensant à une potentielle chasse. Le nombre inconnu de ces plus que probables acrobates le taraudait. D’autant plus qu’il ignorait où ils se cachaient. À coup sûr, ils attendaient leur heure dans les environs.

« Veuillez me suivre.

-Oui, oui, abandonna-t-il, bien entendu. Vous ne comprenez pas l’humour de la situation. »

À gauche et à droite, les bâtiments se trouvaient trop loin de lui. Derrière, il n’avait pas assez d’élan. Une seule solution lui apparut.

Malgré le peu de considération du dieu de la farce ces derniers temps, Carmin pria intérieurement que Soupetard lui vienne en aide. Et, à quelques pas seulement de l’homme, il courut. L’effet de surprise lui permit de s’esquiver et de se ruer sus à la bordure. À un pas seulement de la fin du toit, il plongea vers le haut d’un merlon, posa ses mains et se repoussa de toutes ses forces pour s’envoler par-dessus. Il traversa la rue, tendit les pieds en avant et s’accrocha sur le mur d’en face.

Il osa un coup d’œil derrière et découvrit l’homme accompagné de trois autres personnes, s’apprêtant à l’imiter. Remonter et s’enfuir par les terrasses ne semblait pas constituer l’idée du siècle. Il se laissa donc descendre par étapes et rejoignit les pavés aussi rapidement que possible. Après un dernier signe à l’attention de ses étranges poursuivants, il courut à toutes jambes dans les ruelles. Se mêler à la foule le sauverait peut-être.