L’apprenti hukane (Guert)

Cette scène est la même que la précédente, du point de vue de Guert, le père d’Axrel. C’est la première fois que je me soumettais à ce type d’exercice et j’ai beaucoup apprécié. Ce doit être intéressant d’écrire une histoire basée sur ce principe.

La fierté luttait contre l’impatience et la peur dans son cœur avec un acharnement certain. Voilà bien longtemps qu’il se trouvait au milieu de tous ces gens, attendant que le rideau s’ouvre. Il sentit la main de sa femme se serrer contre son bras. Tout en essayant de sourire pour masquer son angoisse, il se tourna vers elle et inclina la tête. Il en fit de même pour leur fille et leur fils.

Tous deux avaient un destin tout tracé sous les meilleurs auspices. Aléria devait épouser le duc de Gearmont, un homme riche et puissant, un homme tolérant et aimant. Et Areuld avait intégré les plus proches hommes du roi. Chacun de ses trois A, comme il aimait les appeler, avaient réussi. Seul Béor, son plus jeune fils, eut un destin tragique. Cet enfant avait toujours eu une condition plus fragile que ses frères et sa sœur, et en tant que père, Guert fut inquiété par le choix de son fils. Devenir hurkane n’était pas chose facile, et bien que son autres fils Axrel empruntait déjà cette voie, elle en devait être d’autant plus ardu pour Béor. Mais il avait soutenu malgré tout son choix, sa plus grosse erreur.

Les trompettes se mirent à retentir. Leur musique envahit la pièce au plafond arrondi. Guert et sa famille se tournèrent, comme tous les autres, vers le rideau qui devait désormais se lever d’un instant à l’autre. Une soudaine et vive peur l’envahit. Il savait parfaitement comment aller s’achever cette cérémonie, et savoir que son fils pouvait mourir en ce jour était une torture inimaginable. Sa femme dut penser comme lui, puisqu’il sentit sa prise sur son bras s’intensifier. Sans quitter le rideau des yeux, il déposa sa main sur les doigts fins et crispés d’Iselle.

Le calme revint sans aucun appel. Les gardes qui faisaient une haie d’honneur depuis le rideau jusqu’au trône, où le roi attendait, croisèrent le fer de leurs lances et attendirent. Le héraut du roi fit un pas en avant et dit haut et fort :

« Faites entrer Axrel Esorenne, apprenti de l’hurkane Elderon Alussit. »

La peur revint assaillir son cœur et, lorsque le rideau s’ouvrit enfin sur son fils, la fierté prit sa place. Axrel était beau dans son armure d’or, il était fort, droit et décidé. Guert admira son fils, marchant vers leur roi. Tous dans le public l’enviaient, les nobles de la cour, les soldats qui lui ouvraient le chemin, et lui-même. Guert ne regrettait en rien sa vie, mais devenir hurkane était le plus grand honneur qu’un homme pouvait recevoir, même s’il privait de toute descendance.

Son cœur faillit s’arrêter lorsque les deux gardes qui ouvraient la voix à son fils frappèrent le sol de leur lance. Ils s’inclinèrent devant leur roi et cédèrent la place au futur hurkane qui fit de même. Le son des trompettes retentit cinq fois avant que le héraut reprenne :

« Sa Majesté, le roi Portéan troisième du nom, reconnait la formation de l’apprenti Axrel Esorenne et tient à le féliciter pour ses actes de bravoure lors des batailles contre son ennemi le roi Ménatis. De même, il reconnaît sa ténacité, son engagement envers la couronne, et encourage ses futurs services envers Sa Majesté. Axrel Esorenne, veuillez-vous agenouiller pour recevoir la bénédiction de votre roi, maître de votre vie et de votre destin. »

Axrel s’agenouilla. Une petite larme coula sur la joue de Guert tandis que la main de sa femme se serrait toujours plus sur son bras, lui rappelant combien la suite pouvait mal se passer.

« Sois fort mon fils, chuchota-t-il. »

-Jurez-vous de suivre les ordres que vous donnera Sa Majesté ? Jurez-vous de défendre les intérêts de votre royaume et de votre roi ? Jurez-vous de toujours suivre les lois des hurkanes, défendant ainsi la veuve et l’orphelin, accompagnant les hommes dans la bataille  ?

-Je le jure, dit-il solennellement.

-Êtes-vous prêts à donner votre vie si cela permet à celle de votre Souverain de se prolonger ?

-J’y suis résolu.

-Dans ce cas, veuillez-vous lever. »

Le corps de Guert tressaillit lorsque le roi se leva. Sa Majesté ôta son épée de son fourreau. Même de là où il se trouvait, Guert pouvait voir les chatoiements verts sur la lame royale. Il retint son souffle et fut paralysé lorsque Axrel reçut l’épée de son souverain en plein cœur. Son armure si belle se teinta de rouge, sa femme, elle, sombra. Sans pousser le moindre cri, elle tomba en arrière. Ce fut de justesse que Guert et son fils la rattrapèrent. Aléria était interdite, la main plaquée sur ses lèvres. Guert redressa sa femme, et la maintint debout, contre lui, tandis qu’il regardait inquiet le corps de son fils agité par des soubresauts. La dignité voulait qu’il n’accourt pas vers lui, qu’il le laisse lutter contre la mort, et même s’il y était préparé, le vivre était tout autre. Et enfin, le corps d’Axrel cessa de bouger. Guert pria la Mère qu’il ait survécu, mais aucun signe de vie. Son fils se tenait là, à genoux, la tête basse, les bras le long du corps. Sa gorge se noua, ses yeux s’inondèrent, la mort avait emporté un deuxième fils. Du moins est-ce ce qu’il crut avant que la tête d’Axrel ne se redresse.

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