L’appel du destin

On peut le dire, avec ces 951 mots, je me suis éloigné des 400 d’origine. Pour ma défense, je me suis beaucoup attaché à cette histoire dont le but était de mettre en place une scène de tous les jours, sans élément fantastique d’aucune sorte. Mais chassez le naturel, il revient au galop :

La mer était calme, et un petit vent venait de se lever lorsque Vilren décida de rentrer chez lui. Au loin, Arken, son voisin et ami, agitait les bras pour attirer son attention. Ce fut donc tout naturellement qu’il tira un peu plus fort sur sa rame droite, pour changer de cap. Bientôt, il entendit ses cris l’appeler avec une joie certaine. Vilren y répondit :

« Et bien quoi, hurla-t-il, je ne vais quand même pas faire tout le chemin ? Viens ici ! Et ne reste pas debout à t’agiter comme ça, tu vas finir par tomber à l’eau ! » Un petit sourire se dessina sur ses lèvres et il reprit ses efforts.

Il avait pêché toute la matinée, ses bras le faisaient souffrir et il avait vraiment faim. Cependant, il ne s’imaginait pas refuser l’appel de son ami, simplement pour rentrer chez lui et attendre que sa femme prépare le poisson. D’autant qu’il y avait une éternité qu’il ne l’avait pas vu. Il recala ses pieds sur leurs appuis, transférant ainsi le plus gros de l’effort sur ses jambes. Plus que quelques coups de rame et il pourrait se reposer.

Sans le prévenir, Arken lui lança une corde, l’obligeant à plonger dans sa barque pour l’attraper, et le menaçant de faire chavirer son embarcation :

« Jolie, bien joué Vilren !

-Tu as de la chance de ne pas savoir nager, dit-il tout en tirant sur la corde pour rapprocher les deux barques, autrement je te jetterais bien à l’eau. »

Enfin réunis, et la corde convenablement attachée, les hommes se serrèrent chaleureusement la main :

« Comment va ta petite ? » Vilren n’avait guère eu l’occasion de la voir plus de trois fois depuis sa naissance. « Elle doit avoir quoi, trois mois ?

-Quatre. Mais ce n’est pas pour ça que je suis venu te voir, tout va bien à la maison ne t’inquiètes pas. Élyasa te salue d’ailleurs. Tiens, attends. »

Vilren attendit, les bras ballants et les yeux grands ouverts, de voir ce qui pouvait être plus important qu’une famille. Pitié, comme à son habitude, son ami avait eu une idée et il ne se calmerait pas avant d’en avoir parlé. Une grande aventure, une grotte à explorer, une chasse aux esprits qui envahissaient la forêt à la nuit tombée. Peut-être qu’Arken avait encore trouvé un fossile et pensait détenir la clef d’un trésor oublié. Mais s’il était vraiment oublié, comment un simple pêcheur incapable de nager pouvait-il espérer le trouver ? Arken était son ami, cependant Vilren ne pouvait s’empêcher de se moquer de son côté fantastique.

« Ah, le voilà ! Regarde, regarde, n’est-il pas magnifique ? » Il tenait dans ses deux mains un rocher ovale, aux lueurs bleues vertes.

« Un caillou ? C’est vrai, il est beau, reprit Vilren sans trop vouloir vexer son ami. Mais c’est quoi ?

-Tu ne vois pas, c’est un œuf ! » Après quelques instants d’un silence pesant, il s’emporta : « Vous ne me croyez jamais ! L’épée des anciens rois, le bout de toge de l’archimage, la clef du trésor perdu de Celui-qui-fait-trembler-le-monde, et maintenant ça ! Vilren écoute moi, je suis appelé à faire de grandes choses, pas à devenir un malheureux pêcheur qui ne sait même pas nager.

-Malheureux ? Mais écoute-toi, nom d’une barque en plomb ! Tu as une femme et une fille, un toit solide, le poisson est abondant et le commerce est florissant. Que veux-tu de plus ? Tous ces trucs que tu trouves ne sont rien. L’épée des anciens ? Une vieille lame rouillée et recrachée par la mer. Et ce bout de laine déchiré et décoloré n’était pas la toge de je ne sais quel fou au chapeau pointu.

-L’archimage !

-Tu vois, tu continues. Jette moi ce caillou tu veux et oublie cette histoire.

-Vilren, tu ne comprends pas. Je suis promis à de grandes choses, le destin n’arrête pas de mettre toutes ces légendes sur mon passage, et moi, qu’ai-je fait ? J’ai tout nié, comme vous me l’avez dit, Élyasa et toi, j’ai tout rejeté à la mer. Cette fois, ce sera différent et je pensais pouvoir compter sur toi pour faire éclore cet œuf.

-T’aider ? » Vilren inspira profondément. « Arken, tout ça n’est que pure folie, et tu voudrais que je t’aide ? À quoi bon. Mais regarde bien, ce que tu tiens n’est qu’un caillou.

-Arrête ! Tu es mon ami, non ? Jusqu’à présent je t’ai toujours écouté alors pour une fois, tu veux bien essayer ? Et si ça ne fonctionne pas alors je reconnaîtrais ma bêtise et j’arrêterais de croire en tout ça. »

Vilren regarda longuement son ami avant de répondre : « Très bien, mais nous sommes d’accord, cette fois sera la dernière. » N’attendant pas de réponse, il reprit sans prêter la moindre attention à l’exultation d’Arken  : « Nous garderons cela secret jusqu’à ce que nous ayons pris une décision. Je ne veux pas que ma femme croit que ta folie m’a envahi. Je te laisse une semaine, si d’ici là ta je ne sais quelle créature n’est pas sortie de son œuf, on le jette à la mer et on oublie tout. C’est d’accord ?

-D’accord. Merci Vilren, ça me touche.

-Oui oui, bien sûr. Bon, je me détache, ma femme doit commencer à s’inquiéter. On se voit demain. »

Les deux hommes se saluèrent et se séparèrent, l’un empli du sentiment de s’être fait piégé, l’autre heureux de partager enfin une de ses aventures avec son ami. Cependant, aucun d’eux n’entendit le craquement provenant du rocher placé soigneusement sous une toile, sur la barque d’Arken.

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