Contre-réflexion

« Pourquoi rejoindre la porte des vents et perdre ainsi l’initiative, s’emporta Renouille !? Gongénoire fatigue ses troupes et nous offre un temps précieux. Quel est donc son but ?

-Il nargue nos hommes et tente de saper notre moral, Votre Majesté, intervint l’un des généraux, rien de plus. Je crains pour lui que ses récentes victoires l’aient poussé vers les contrées de la présomption. Toutefois, vous avez raison de le considérer avec tant de précautions, notre ennemi semble nous cacher certaines ressources.

-En vérité, poursuivit le plus jeune d’entre eux, nous ignorons tout de nos adversaires. » Sa prise de parole surprit l’assemblée. Le roi lui-même acquiesça et l’enjoignit à continuer. « Depuis des décennies, nous nous affrontons sur un même schéma. Ils mettaient certes en place différentes stratégies, mais toujours ils finissaient par s’écraser sur nos boucliers. Bien sûr, nous avons pu constater des évolutions dans leur équipement et certaines de leurs machines. Du moins, pour celles qui parvenaient à progresser sur le terrain accidenté où nous les avions fixés. Pourtant, en dehors de cela, nous ne savons plus rien d’eux. D’ici demain, nous affronterons de parfaits inconnus. »

Qui se renfonça dans son fauteuil, qui approuva gravement ses mots, qui fixa la carte de la cité où les derniers travaux se dessinaient. Pour tous, un silence empli de doutes et de réflexions s’instaura. Et au cœur de la nuit, cet instant se prolongea, comme l’ultime soupir d’un guerrier espérant sa fin sur le champ des morts.

Brisant cette paix inattendue, la lourde porte d’entrée bardée de métal s’ouvrit brusquement et vint heurter le mur. Un homme en tabard jaune et vert se présenta, transpirant et essoufflé. Une inquiétude dévorante transparaissait dans ses yeux sombres. « Votre Majesté, entama-t-il… Les jamures… Ils sont à la porte !

-Comment, répondit le roi ? C’est impossible ! Ils ne peuvent pas déjà être là !

-Ils ont profité de la nuit pour faire demi-tour, reprit le messager, ils sont à la porte du soleil. »

Malgré la nouvelle et l’urgence qu’elle impliquait, Renouille ne put s’empêcher de féliciter intérieurement son ennemi pour son ingéniosité. Puis sa propre situation lui revint. Il devait agir vite et contrer la première passe de Gongénoire. Le plus important était de réunir ses forces pour défendre au mieux la porte du soleil. Réorganiser ses hommes et rassembler ses archers, préparer les projectiles des différentes armes de jet et dépêcher des porteurs pour ramener ceux en réserve aux entrées nord-est et ouest. Sans oublier le moral des troupes. Et pour cela, il n’avait malheureusement guère le choix. Son fils interviendrait, pour la première fois.