L’écho

Vautré sur le fouillis de carrés rembourrés qui lui servait de lieu de paresse, Garguyme souriait. Les yeux clos, la tête jetée vers l’arrière, il profitait de l’air doux guidé par sa domestique. Le bruit de la formidable feuille qu’elle utilisait pour le produire le berçait, l’apaisait. Il aspira ce flux tiède avec avidité, bloqua sa cage thoracique, puis relâcha le tout avec suavité. Ajouté au luxe de sa sieste, le frais tracas de ses frères et sœurs apportait l’ultime touche de félicité.

L’appel particulier de cette guerrière les avait émus, tous, sauf Ourkess qui persistait à faire la sourde oreille. Et là, couché, Garguyme s’amusait à écouter le résultat de cette bravade. Jourtha, dieu du savoir et de la sagesse, s’était outragé face à la médiocrité des prêtres. Lui permettre d’outrepasser leur rôle, l’autoriser à bafouer les choix suprêmes, cela laisserait de lourdes séquelles ! Amourth, égal à lui-même, était resté de marbre. Que pouvait-il faire d’autre, lui, le dieu de la mort ? Sa qualité la plus appréciée demeurait l’expectative. Quoiqu’elle agaçait parfois Garguyme au plus haut lieu. Il releva les yeux, curieux. Au bout du compte, le décès de cette femme profiterait au père des ombres. Si Ourkess persistait à la rejeter, l’âme de la guerrière filerait droit vers le royaume d’Armouth. Elle trépasserait et tout serait alors réglé.

L’écho de la voix de Faraky, déesse de l’amour, celui avec le fameux A et le plus petit, fugace, de la fertilité et de la beauté, relative, ou subjective, souffla le Capricieux, s’éleva au cœur du palais. Véritable mégère à ses heures, voilà le type de femme à éviter. Jalouse comme pas deux, elle pouvait mettre le feu à l’âme des traîtres. Des hommes pour la plupart. Cela attristait Amourth, pour qui il restait fort peu à accueillir. Toujours était-il que Faraky vibrait :

« Je te l’assure, il faut agir. Cette Mazy mérite d’être écoutée.

– C’est ridicule, se lassa Gormo, dieu des cycles et du temps, des heures passées et futures, des jours. »

Le dieu qui creuse des cercles à force de marcher, s’égaya Garguyme.

« Elle a bafoué l’ordre des choses, bravé les prêtres, reprit Faraky ! Réalises-tu ce qui se profile ? Cette femme rêve de…

– …épouser Ourkess ! C’est ridicule, répéta-t-il, fatigué.

– Désespéré, je dirais.

– Tu persistes, bâilla-t-il, à croire que cette Javy, ou que sais-je, prévaut sur les autres mortels. Si tu t’occupes d’elle, tu devras te charger de toutes les amourettes futures. »

Ce qu’elle fait déjà, murmura le dieu assoupi. Comme les autres, d’ailleurs.

« Et tu sais qu’il est prohibé de les aider. Apaiser la fatigue, pas la dissiper, ajouta Gormo alors qu’il s’étirait.

– C’est vrai, céda-t-elle avec tristesse. »

Actrice, repartit le dieu couché.

Au bruit de ses pas, Garguyme comprit que sa sœur se séparait de Gormo.

« Fais-moi plaisir, poursuivit-elle malgré tout, va dormir et achève la triste partie de ce cycle. »

Ce tête-à-tête clos, le Capricieux décida que cette histoire l’assommait. Au bout du compte, il avait mieux à faire que de s’impliquer. Il se releva avec fluidité, quitta le lit douillet et disparut au cœur des ombres.

 

n'hésitez pas à laisser un commentaire